Depuis longtemps, l’enfant et le vieil homme marchaient d'un même pas et, ensemble, ils avaient navigué entre lune et soleil.
Les chemins creux, les sentiers abrupts , les routes pierreuses, rien n’avait pu les arrêter. De temps en temps, l’enfant voulait aider son compagnon quand son ardeur s'épuisait. Mais, d’un geste, le vieillard l’arrêtait : « Fils, ce n'est pas l'heure".
Et la route s’étirait, tranquille. Le but à atteindre, ils le sentaient, était tout proche, à quelques lieues.
Tout avait commencé quand ils entendirent parler d'un temple au sommet d'une colline où régnait l'Esprit. Alors, leurs coeurs vaillants avaient surmonté tous les obstacles pour accomplir leur destinée. Ensemble, ils prirent le chemin. Le voyage fut long et rude, mais les étoiles veillaient. L’enfant, parfois s’égarait et le vieil homme voulait le retenir. Mais d’un geste, le jeune garçon l’arrêtait : « Père, ce n'est pas l’heure ".
Et un jour, la colline apparut, majestueuse dans la brume matinale, rassurante comme le sein d'une mère. Les deux pèlerins se regardèrent avec effroi et joie mêlés : combien de peines encore pour atteindre son sommet ?
« Courage » se dirent-ils d'une seule et même voix. Ils commencèrent leur ascension, sans jamais se retourner. S’ils avaient pu, ils se seraient donné la main, mais, jusqu'au bout, ils devaient vivre les contraintes de leur terrible condition.
A la fontaine, ils purent se désaltérer d'une Eau qui ne mouille pas les doigts. Et
Au milieu du Temple, l’enfant sentit que son corps se nouait, que son dos se courbait, que sa peau se flétrissait comme une rose fanée. A ses côtés, le vieillard retrouva la force et la vigueur de sa jeunesse et la sève printanière coula, à nouveau, dans ses veines.
Désormais, ils purent se prendre la main, abolissant ainsi tous les espaces.
L’un dit : « Je suis Toi ».
Et l’autre, en écho, répondit : « Nous sommes Un. »
S’en retournant dans le vaste monde, le vieil homme et l'enfant laissèrent derrière eux une seule trace, celle du vert Paradis enfin retrouvé.
COMMENTAIRE
Ce conte n'a pas été donné à une personne mais à... un lieu, Vézelay, en Bourgogne. Lors d'un stage que j'y ai fait, j'ai eu une soudaine inspiration et cette histoire en est le résultat.
C'est un lieu très particulier, avec sa basilique dédiée à Marie Madeleine. Comme vous pouvez le comprendre, c'est un endroit à la fois mystique et alchimique. L'eau "qui ne mouille pas les doigts" est évidemment l'énergie et la Reine c'est l'alchimie.
On peut y réaliser une "transmutation " c'est-à-dire l'abandon du "vieil homme " et la naissance en "homme nouveau". Ce sont les mystères de l'engendrement, renaître à soi même. Base de toute vie spirituelle véritable. Les deux hommes du conte n'en forment qu'un, bien évidemment.
Je dis souvent à mes élèves que nul n'est besoin d'aller à l'autre bout du monde pour trouver la spiritualité, c'est souvent au coin de la rue... Et en France, on est plutôt gâtés vu le nombre de lieux alchimiques qui permettent la dissolution de l'ego et la réalisation du Soi. La qualité première pour y parvenir ? Le courage, comme dans ce conte. Le chemin est souvent semé d'embûches ! A ce propos, savez vous pourquoi la fête de l'Amour est le jour de la saint Valentin ? Parce ce que ce nom signifie : valeureux, courageux ! Il faut du courage pour s'aimer soi même ! D'ailleurs le symbole du coeur représente bien autre chose que la "mièvrerie sentimentaliste cucul la praline" que l'on vous sert habituellement. Mais c'est une autre histoire....
JARDIN BOTANIQUE CHICAGO (Photo de l'auteure ).