Un singe vivait depuis si longtemps derrière les barreaux de son enclos qu'il avait fini par oublier les grands espaces qui l'avaient vu naître. Régulièrement, des enfants venaient l'admirer et lui donner des fruits qu'il attrapait à la volée. Indifférent à son sort, il se contentait de passer d'un rocher à un autre ou se balancer aux branches de l'arbre unique qui décorait sa prison.
Son seul réconfort était de regarder les nuages passer ou de s'émerveiller de la beauté des étoiles au firmament. On le considéra bientôt comme un grand maître, porteur d'une sagesse ancestrale, car il pouvait rester des heures durant à fixer le ciel, assis en position du lotus. Il commença à attirer les foules et certains, même, se déclarèrent disciples de l'animal car, à son contact, ils avaient retrouvé la foi ou la guérison.
Dès lors, ce fut une bien étrange période car les dons affluaient et des prédicateurs venaient de très loin chercher quelques réponses à des mystères insondables. Le singe, quant à lui, se moquait bien des attentes humaines mais, bribe après bribe, il retrouvait le bonheur dont on l'avait privé : à force de contemplation, il se voyait, perché sur le dos de sa mère, naviguer de liane en liane ou, joyeux parmi ses frères, bondir en poussant de grands cris. Grâce à ses visions, il faisait abstraction de sa misérable condition et pouvait, à loisir, s'échapper de sa geôle. Un jour, grimpant au sommet de l'arbre, il s'élança vers les cieux et disparut à l'horizon. Tous ceux qui avaient assisté à la scène affirmèrent que le singe ne s'était pas volatilisé mais s'était métamorphosé. Il fallait désormais l'honorer tel un Dieu si on voulait obtenir de lui quelque grâce. Bien de faux prophètes en furent mortifiés car une bête insignifiante les avait devancés sur le chemin de la réalisation suprême. Ils avaient simplement oublié une vérité : seul celui qui a brisé ses chaînes peut s'affranchir de la mort et goûter à profusion les fruits du Paradis.
COMMENTAIRE
Le singe n'ayant pas de mental a plus de possibilités d'ouvrir son cœur que nous, pauvres humains, soumis au diktat de notre intellect. Pour atteindre "la réalisation suprême" il suffit donc de se tenir "immobile, silencieux, aligné" et d'être dans un état de profonde contemplation. Le "non agir" conduit plus certainement au paradis qu'une vaine agitation. Bonnes fêtes à tous et toutes !