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Le paysan était humble et vivait largement de sa terre généreuse. Il fuyait la compagnie, arguant le fait que la nature suffisait à son bonheur et à sa tranquillité.
Or voilà qu'un jour un étrange personnage frappa à sa porte.
Il paraissait agité, en proie à un grand effroi. Son visage était hâve et sans arrêt il portait son regard à l'entour, comme si le diable le poursuivait. C'était peut-être effectivement le cas. Le paysan n'eut pas le temps d’interroger son visiteur impromptu car aussitôt ce dernier prit la parole :
« Mon ami, daignez que je vous livre un secret. Mais pour cela, fuyons les regards indiscrets et permettez-moi d'être l'hôte de votre demeure. »
Sans s'étonner, le paysan consentit à cette soudaine requête. L'homme continua : « Ah ! Combien je suis aise de vous avoir trouvé ! Voyez dans quel état d'agitation je me trouve ! Je me croyais chanceux mais au fil du temps, je me suis rendu compte combien il est difficile d'être remarquable et remarqué. Osez voir ce que je cache aux yeux de tous. »
Le paysan n'en demandait pas tant et se serait bien volontiers passé d'un tel honneur. Il regrettait même d'avoir innocemment ouvert sa porte à l'importun. Mais voilà que quelque chose attira son attention : le voyageur tenait dans sa main un objet intriguant et pour tout dire, inconnu. Etait-ce végétal, minéral ou animal ? Il n'aurait su le dire mais sa curiosité fut éveillée.
L'inconnu continua :
« J'ai consacré toute mon existence à tenter de lever le voile sur bien des mystères et je pensais qu'enfin je parvenais au but, à la révélation. Mais quelle naïveté ! La joie a fait place à la peur et je n'ai de cesse de me délivrer d'un tel fardeau : la vérité est pernicieuse et le chemin pour y parvenir, semé d'embûches. Mais cessons et venons-en au fait. »
Prenant une longue respiration, l'inconnu s'interrompit un instant puis reprit son discours :
« Depuis longtemps, je cherche un homme bon, simple et vertueux. Je croyais l'affaire facile à mener. Mais il m'a fallu bien de l'ardeur, de la persévérance et du temps pour parvenir jusqu'à vous. Ne soyez pas étonné, mon ami. Vous représentez toutes ces vertus et je sais de quoi je parle ! Que d'hypocrites, de menteurs et de fourbes en ce monde d'en bas ! Mais ma quête touche à sa fin et j'en suis fort aise. Moi aussi, tout comme vous, j'aspire maintenant à une vie retirée et contemplative. La peur de ne point y parvenir m'obsède. Daignez voir ce qui se cache dans ma main : votre regard s'allume et je sais reconnaître là un homme de savoir. Cette matière brute, noire et impénétrable est simplement une racine. La plante qu'elle verra naître est recherchée pour l'immortalité qu'elle procure.
Que de sang versé, de luttes fratricides, de guerres immondes pour seulement percer son mystère ! Mais cette racine n'a rien d'une femelle lubrique et ne se livre pas au premier venu. Il faut beaucoup de patience et d'humilité pour obtenir quelque grâce. Je croyais les posséder mais la frayeur a fini par me contraindre à la fuite : je me suis senti observé, poursuivi, épié, envié pour un savoir que je ne possède nullement. Et voilà le pourquoi de ma venue : vous êtes, à mon sens, le seul à pouvoir vaincre tous les obstacles et parvenir à la connaissance ultime. Le voulez vous ? »
Le paysan sentit que cette question n'attendait que son assentiment et il le donna bien volontiers. Depuis toujours, il s'intéressait à Dame Nature et cette racine l'intriguait. Il n'avait jamais rien vu de tel.
Quand il la tint dans sa paume, sa surprise fut grande : elle était d'un poids infime alors qu'elle paraissait dure et solide comme une pierre. Il la soupesa à nouveau et il eut l'impression que sa masse s'incrustait dans sa chair. Cette sensation fut à la fois douloureuse et délicieuse.
Il leva son regard vers l'inconnu mais celui-ci s'était éclipsé sans même un mot d'adieu. Le brave paysan haussa les épaules et sut à cet instant que sa vie allait être bouleversée.
Il ne croyait pas si bien dire car cette racine devint l'objet de toutes ses attentions : il en oublia le boire, le manger et même de courir la gueuse. Ses champs furent envahis de chiendent, ses étangs ne furent plus récurés et son bétail, livré à lui-même. Ses voisins s'inquiétèrent mais il ne daigna pas leur ouvrir sa porte. Une seule pensée l'habitait et il découvrit combien cette racine était bien plus exigeante qu'une simple maîtresse. Elle prenait tout et ne donnait rien. Elle remplissait ses jours et ses nuits mais ne livrait aucune étincelle.
L'homme était seul face à lui-même et l'épreuve était terrifiante ! Aucune part où se tourner, aucune aide à attendre ! Etait-ce cela le néant, l'abîme que le voyageur avait suggérés ?
Pourtant, malgré tant d'âpreté, le paysan n'arrivait pas à en vouloir à son mystérieux donateur. Car il avait reçu sans compter, en contrepartie de son acceptation, le don de la Vie véritable : puissante, généreuse mais tranchante telle la lame d'une épée. Peu lui importait la blessure profonde qu'elle lui occasionnait, les renoncements et les détachements nécessaires qu'il lui fallait faire. Car il découvrait en lui une force inouïe, indomptable.
Cette racine, à n'en pas douter, était vivante. Sans voix, elle parlait. Sans regard, elle voyait. Sans ouïe, elle percevait. Et plus l'homme en devenait conscient, plus il se transformait.
Et un jour, elle finit par apparaître cette pousse verte tant attendue : de la matière sombre et obscure était sortie une sève nouvelle, porteuse de renaissance. L'homme s'interrogea devait-il s'en nourrir ou la laisser croître ?
Bien évidemment, sa recherche n'avait rien de personnel et grand fut son contentement de la voir grandir avec la seule aide de la Lumière.
Quand enfin la racine devint fleur, l'humble paysan sut qu'il avait vaincu. Mais, de cette victoire, il ne tira aucune gloire. Car, depuis toujours il le savait, l'Immortalité naissait de l'Amour de la Vie. Et, immortel, assurément il l'était puisque, chaque matin, le sourire de l'Ange l'accompagnait.
COMMENTAIRE
Ce conte a été donné, à distance, à Raymond Montercy, enseignant des Tracés Régulateurs. Il a beaucoup étudié la géométrie sacrée et l'alchimie.
PISTE DE REFLEXION
De quelle nature est cette pierre ? Peut-on la trouver en soi ? A l'aide de quels éléments indispensables à la vie, peut-on changer le plomb en or ?
ITALIE (Photo de l'auteure).