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Une jeune fille, se rendant un jour à la ville voisine, pour y vendre les produits de sa ferme, fit une rencontre fortuite qui changea à jamais sa destinée.
Mais, pour l'heure, elle avait préparé un petit panier, dans lequel elle avait déposé, délicatement, sur un tissu à carreaux rouges et blancs, une douzaine d'oeufs, quelques fruits et une poignée de noisettes. Elle marchait avec précaution évitant, de ses pieds menus, les pierres vives du chemin. Bientôt, son pas s'accéléra car la matinée était fort belle et prêtait à la joie. Elle imagina, un instant, qu'elle allait à un rendez-vous galant, plutôt qu'au marché affronter la foule des acheteurs.
Ah ! Que les jeunes filles au coeur tendre sont sottes ! Car elles ne savent pas, les malheureuses, que leurs rêves sont toujours exaucés par des Dieux attentifs mais ô combien cruels !
Au détour du chemin, alors que la pente se faisait douce, la petite fermière aperçut un jeune homme, adossé au tronc d'un arbre. Elle ne discernait pas son visage, et ne voyait de lui que la couronne dorée de ses cheveux et ses épaules, assez puissantes pour soutenir le monde. Il était légèrement penché en avant et semblait ramasser quelques fleurs éparpillées dans l'herbe tendre.
Le sort funeste décocha une flèche jusqu'au plus profond de l'âme de la jeune enfant qui, aussitôt, se sentit transportée vers des sommets vertigineux, où seul l'amour peut conduire. Dès lors, elle était perdue mais, heureusement, elle l'ignorait.
C'est à peine si elle se rendit compte de son arrivée dans la ville, du brouhaha incessant, du grouillement des marchands et des clients qui se pressaient devant son modeste présentoir. Elle flottait dans un brouillard cotonneux et distinguait confusément les contours de la réalité. Sur le chemin du retour, elle espérait revoir la douce apparition mais, pour l'heure, tout était vide et désert. Arrivée à la hauteur de l'arbre, elle eut l'impulsion soudaine de s'adosser, à son tour, au tronc du chêne vigoureux. Elle pensait, de cette façon, recueillir en son sein, un peu du parfum de l'être aimé. Mais rien, pas le moindre frémissement.
Dès lors, sa vie devint un délice car elle espérait et un enfer car elle se languissait. Heureusement, un jour, elle le vit à nouveau. Tel un jeune faon, il poursuivait une ombre blanche qui courait devant lui. Sans même réfléchir, elle se précipita dans son sillage, mettant soigneusement ses pas dans les siens. Elle souhaitait ardemment respirer le même air que lui et emporter, en son coeur, un peu de son souffle. Mais rien, pas le moindre frémissement.
Les jours passèrent avec une infinie lenteur et la petite fermière s'étiolait de plus en plus. Elle dépérissait à vue d'oeil, à tel point que ses parents, fort inquiets, la menèrent à la ville où se donnait un bal princier. La malheureuse se laissa faire. Cependant, une flamme, en elle, se raviva. Allait-elle le revoir ? Lui, l'être ineffable qui remplissait sa vie, nuit et jour, d'un breuvage délicieux et amer, à la fois ?
Il était là, inconscient de sa beauté et de sa cruauté. Pour la première fois, la jeune enfant voyait son visage, si pur, qu'il semblait illuminé de l'intérieur par une lampe incandescente. A sa vue, aussitôt, la belle rougit de confusion. Mais son âme, ah ! son âme ! Quel parfum exquis ! Quel souffle léger, elle respire enfin !
Le bal débuta et tous les invités, avec des gestes gracieux, s'élancèrent sur la piste de danse. Allait-il la remarquer, elle, petit oiseau effarouché ? L'inviter et la tenir par la taille ? Tout son être frémissait d'impatience. Mais l'aimé passa à ses côtés sans même la voir. Cruelle déception. Le destin ourdit parfois, des sorts plus terribles encore. Le jeune homme tenait par la main une magnifique beauté, souple comme une liane et altière comme une reine. Elle portait une simple robe blanche et ses cheveux étaient couronnés d'une profusion de fleurs parfumées, que l'amoureux avait cueillies au pied d'un arbre. Son regard pour la belle inconnue était d'une telle intensité, que la pauvre petite fermière se dessécha instantanément. Adieu la joie, adieu les plaisirs de la vie, les rêves enfantins et les gloires espérées !
Elle tomba comme une pierre sur le sol, mais emporté par la passion, le jeune écervelé ne le remarqua même pas et continua sa danse ensorcelante.
On la ramena chez elle et son souffle était si court, qu'on prépara déjà son tombeau. Mais celui qui souffre peut-il redouter l'ensevelissement ? Au moment où, comme la flamme fragile d'une chandelle, elle allait s'éteindre, la jeune fille ressentit, surgie du plus profond de ses entrailles, une force incommensurable qui balaya tout sur son passage : les douleurs, les peines, les trahisons et les larmes. C'étaient les vents du retour qui la ramenaient à la véritable maison et lui faisaient entrevoir un Amour plus grand que la simple fusion des sens et la communion des chairs. Un Amour si puissant que la jeune âme en eut le vertige. L'Univers l'embrassait et son baiser était si suave qu'il lui donna l'immortalité.
COMMENTAIRE
Ce conte a été donné à une femme en fin de vie qui redoutait la mort. Ce conte l'a apaisée et lui a permis, le moment venu, de franchir sereinement les portes de l'au-delà. Cependant, je voudrais aussi dédier ce conte à tous ceux et celles qui ont connu (ou connaissent) les affres de l'amour non partagé, de l'abandon ou de la trahison.
PISTE DE REFLEXION
Je vous conseille vivement de lire "La petite sirène" d'Andersen. Il y a d'évidentes similitudes... Que représente la jeune fille ? Le jeune garçon à la chevelure dorée ? Pourquoi leur amour est-il impossible ? Que faut-il faire mourir en soi pour connaître "le suave baiser" de l'Univers ?
Basilique Saint Denis Paris (Photo de l'auteure).