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Silencieuse et immobile, la femme attendait. Elle attendait que la tempête se lève et fasse à nouveau rugir le désert. Cela commençait toujours comme une caresse, un ondoiement à peine perceptible. Puis, soudainement, l'intensité du vent redoublait creusant de larges vagues sur les dunes. Bientôt, la tourmente emporterait tout sur son passage, dans un bruit assourdissant de plaintes stridentes.
La femme, alors, se recroquevillait sur elle-même, en prenant instinctivement la position du nouveau-né dans les bras de sa mère. Elle le savait, elle ne devait pas fléchir sous peine de perdre définitivement sa force intérieure.
C'est son père, obscur roi d'un royaume oublié, qui l'avait exilée en cette terre inhospitalière. Il avait voulu la punir de son goût immodéré de la liberté. La frondeuse l'avait défié à de multiples reprises, mais il avait fallu rendre les armes. Il avait dit à sa fille :" Tu connaîtras le goût amer de l'exil".
Le voyage fut long jusqu'à sa prison et la malheureuse se retrouva bientôt en plein milieu de nulle part, dans un univers de roches et de sable. Là, pas de murailles, de barreaux ou de portes cadenassées. Une simple cabane de planches avec, pour seul gardien, l'immensité du désert, et pour seul compagnon, la peur. Chaque matin, on déposait près d'elle, encore endormie, une cruche remplie d'eau fraîche, un pain de dattes et quelques figues. La prisonnière avait beau guetter la venue de son protecteur, jamais elle ne le vit.
Pour contrer son funeste sort, la belle se remémorait ces moments délicats que l'on vit sans gravité, car on ne sait rien de leur fragilité : le parfum du jasmin à la tombée de la nuit, une douce musique, une taille enlacée mais surtout, un baiser volé !
Ah ! Que les jours anciens avaient été heureux ! Mais pas une seule fois, elle ne versa de larmes. Il lui fallait mener une rude bataille et apprivoiser son plus grand ennemi : le vent.
Quand son corps, gracile et souple comme celui d'un roseau, se mouvait, une brise légère accompagnait ses pas. Si elle tentait de s'éloigner, immanquablement, une spirale ténébreuse l'entourait et l'empêchait de fuir. Parfois, elle rusait et se précipitait dans un sens pour se retourner aussitôt. Mais, son adversaire semblait doué de raison, et opposait une résistance sans faille à ses multiples tentatives d'évasion.
Pourtant, la jeune femme ne se décourageait pas et, dès l'aube, fourbissait ses armes : volonté et courage. Bientôt, son jeu s'affina et elle commença à déjouer les plans de son partenaire si diabolique. En elle, une brèche s'ouvrait pour laisser place à l'espérance. L'heure de l'ultime combat avait sonné.
Un jour, elle fit semblant d'être vaincue et le vent s'y laissa prendre. Il commença à tourner autour d'elle, lui léchant les pieds, comme ferait un chien à son maître. La prisonnière, alors, fit monter de sa gorge une mélopée envoûtante. Aussitôt, son ennemi cessa son manège, suspendant, pour un instant, son étreinte mortelle.
Avec précaution, la femme se releva, lissant les plis de sa jupe. Elle se mit soudain à danser, mimant les volutes d'un tourbillon. Elle imprima à ses hanches un mouvement de rotation, faisant tinter sa ceinture de perles puis, leva les bras vers le Ciel, dans un geste lent et voluptueux. Le vent, lui, se terra au milieu des dunes, tel une bête apeurée. Mais ce n'était qu'un leurre, pour reprendre des forces et précipiter l'hallali.
Cependant, pris au piège de la voix suave de la belle, il finit par s'étourdir et tournoya sur lui-même, jusqu'à s'évanouir dans un murmure.
Alors, d'un bond rapide, la jeune femme virevolta et, avec un cri rageur, se mit à courir à perdre haleine, faisant voler autour d'elle des gerbes de sable.
Une dernière fois, elle se retourna et vit avec stupeur, qu'à la place où se tenait sa geôle, il y avait désormais un arbre majestueux, où venait de se poser, délicatement, un oiseau aux ailes immaculées. Est-ce ainsi, songea t-elle, que l'Esprit se manifeste ? Mais à cette question, qui peut répondre, sinon l'Eternel lui-même ?
COMMENTAIRE
Ce conte a été donné à une femme qui refusait la spiritualité qu'elle pressentait en elle, car elle pensait que tout dogme ou croyance allaient la rendre prisonnière. Dans ce message, on lui fait comprendre que la vraie spiritualité, c'est celle qui surgit du plus profond de soi et non pas d'un Dieu inaccessible. Mais, ne faut-il pas souvent lutter contre soi-même, pour, au final, s'accepter en totalité ?
PISTE DE REFLEXION
Qui est le vent ? De quelle façon la femme obtient-elle la victoire ? N'est-ce pas en étant totalement elle-même ? Et que représente le roi cruel ?
TADJIKISTAN (photo de l'auteure)