Autrefois, un esclave vivait au bord du Nil. Il n'était pas foncièrement malheureux, ne manquant ni de pain, ni d'eau, ni même d'un toit. Cependant, son cœur était empreint d'une profonde nostalgie. Il aurait aimé comprendre le sens de son existence. Mais la destinée d'un homme enchaîné peut-elle être autre, que celle de tailler et d'assembler des pierres ?
Le soir venu, il se rendait au bord du fleuve majestueux, comparant le cours de ses eaux généreuses avec sa propre vie. Nul ne pouvait dévier son lit, comme nul ne pouvait le libérer de sa condition.
Pourtant, un soir, alors qu'il admirait le soleil au couchant, voilà que son regard fut attiré par un objet insolite captif des tiges enchevêtrées des papyrus. Mu par une légitime curiosité, il s'avança avec prudence.
De faibles vagissements s'échappèrent d'un panier d'osier. L'homme songea que l'affaire allait se révéler plus délicate que prévu. Son intuition ne le trompa point, car, couché dans le berceau d'infortune, dormait un nouveau-né.
La première tentation de l'esclave fut de prendre le nourrisson dans ses bras pour le ramener dans sa demeure. Mais qu'avait-il à lui offrir sinon un destin misérable ? Et quel risque pour lui, si on l'accusait de rapt d'enfant ?
Alors, sans plus réfléchir, il dégagea la frêle embarcation des lianes qui l'emprisonnaient et la poussa loin, vers le milieu du fleuve. Il espérait, secrètement, que son geste mènerait ce petit inconnu, fragile et innocent, vers une famille accueillante, une mère aimante ou même une reine.
Et peut-être qu'un jour, cet enfant devenu homme, le libérerait à son tour, lui, l'esclave qui rêvait au bord du Nil.
COMMENTAIRE
Ce conte a été donné à une femme qui se lamentait de n'avoir su donner un sens à son existence. Elle pensait qu'elle n'avait rien fait d'utile ou d'exceptionnel. Mais, connait-on vraiment la portée de nos actes, aussi anodins soient-ils ? Cet esclave se doutait-il que son geste libérateur allait forger son propre destin, celui d'un homme, Moïse, et celui de tout un peuple ?
PISTE DE REFLEXION
Est-il possible de "dévier le cours du fleuve" et de "sortir de sa condition" ? Si oui, comment ?
MALAISIE (photo de l'auteure)